07 janvier 2003

La valse de l'autobus
C'est bien connu, le train est le lieu de toutes les rencontres ; et le métro celui du plaisir insolite.
D'ailleurs, Aragon chantait bien :

Bordel pour bordel
Moi j'aime mieux le métro
C'est plus gai
Et puis c'est plus chaud


Mais on méconnaît les charmes de l'autobus. J'aime l'autobus. Qu'est-ce qui pourrait remplacer les soubresauts d'un 27 sur les pavés qu'à conservé le XIIIe arrondissement ? Comment oublier un départ du Luxembourg dans le premier 82 du dimanche ? Et d'avoir guetté la Vache noire d'Arcueil depuis un 323 en plein après-midi ne peut laisser quiconque intact.
J'ai vu partir les derniers SC-10 (ah oui, m'sieur, j'm'y connais en autobus) qui brinquebalaient au long de la ligne 48 (ah ! les courses à toute vibure vers la Gare du Nord par un matin d'hiver).
On peut aussi prendre le bus juste par intérêt, pour aller d'un point à un autre. Il faut d'ailleurs de savants calculs pour que la solution d'un 69 intégral (un Gambetta-Champ de Mars donc) s'impose comme évidente - mais ça arrive.
Je traversai hier Paris quand deux filles sont montées à un arrêt des beaux quartiers (bah oui, je traverse les beaux quartiers). Joyeuses, avec l'hystérie qui convient aux indigènes, elles se sont installées au fond du bus (je me souviens que les "durs" du collège squattaient toujours le fond du car) d'où elles n'ont cessé de chanter, relativement juste et fort. Un peu inattendu. C'est moins rare dans le métro où ça accordéonise à tout va. Et je me souviens qu'un type avec un gros nez (vermillon) jouait de l'harmonica à la station Brochant. Il doit être mort, depuis.
Donc les donzelles des faubourgs chics se sont lancées dans un duo sur La Valse a mille temps de Brel. Oh, ça sentait un peu la chorale du couvent mais comme l'une des deux chantait quand même beaucoup moins juste, ça faisait un petit décalage amusant.
Selon l'humeur du jour, j'aurais pu avoir une franche envie de leur foutre une torgnole à ces pisseuses (connaissez de Gainsbourg Five easy Pisseuses ?). Mais là, ça m'a plu. Beaucoup moins quand elles ont attaqué Ta Katie t'a quitté : Bobby Lapointe s'accommode assez mal des vocalises demi-mondaines.
Elles sont descendues à saint-Sulpice.
Plus tard (comme dirait Queneau), et d'est en ouest, une petite scène. Sans doute fourbue de son passage au Bon Marché, une dame "bien" (une Mamie Nova parlant finances) a réclamé, usant de son bon droit, une place assise. Pourquoi pas ? Mais il ne me semble pas nécessaire d'exhiber simultanément sa carte de vioque. La femme qui lui a laissé sa place (dois-je ajouter qu'elle était la moins blanche du bus ?) est allée chercher en boîtillant une place à l'arrière. Bien sûr, Mamie Nova n'en a rien vu, occupée qu'elle était de parler de ses propriétés (je ne sais plus où : côte d'Azur, Suisse, peu importe). Elle, elle était chez elle.
Cela dit, le bus, parfois, c'est bien.

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